vendredi 14 octobre 2016

Savoir défendre les Haïtiens

Bonjour lecteur !
Dans notre bateau, pas mal de fantômes se promènent un peu librement, et des fois, sans qu'on sache trop pourquoi, y'en a qui pousse des grosses gueulantes... Des fois sensés, des fois nan.
Des fois en latin ou en grec, des fois dans des langues... Étranges xD

Et puis des fois, y'a un peu comme une illumination.

Ce fantôme n'est pas originaire d'Haïti, il n'y est même jamais allé...  (bientôt...) En tout cas, pas dans cette vie là !

Ça y est, je craque, c'est l'heure du coup de gueule.
En ces temps durs pour Haïti, j'aimerais plus que tout contribuer à rappeler au monde quelque chose. Car moi aussi, j'ai de la peine pour ce pays, pourtant de petite superficie, qui s'est farci 2 catastrophes climatiques à à peine 7 ans d’intervalle. Alors oui, la compassion, la solidarité sont à l'ordre du jour, et il est urgent d'aider les Haïtiens à sortir le moins abattus possible de cette terrible épreuve.
Cela dit, une colère me ronge. Depuis le 12 janvier 2010, c'est la première fois que le monde entend parler d'Haïti, limite, prend conscience de son existence. Et à chaque fois, c'est pour s'apitoyer sur le sort de ces pauvres Haïtiens sur lesquels tous les malheurs du monde semblent s'abattre.
Eh bien moi, je préfère profiter de l'occasion pour vous rappeler à tous qu'Haïti ce n'est pas que de la misère. Là où le simple nom d'Haïti vous évoque l'image d'un petit enfant noir tout nu et rachitique regardant l'objectif de l'appareil photo avec les larmes sur le point de couler, et un évident sous-texte "Pitié aidez-moi", moi je vois le panache, une excentricité éblouissante, une créativité qui aurait de quoi faire rougir au moins 90% des pays du monde entier, un don pour être toujours en avance sur son propre temps et repousser les limites de l'esthétique, une ardeur, une volonté de liberté qui a laissé des traces éternelles dans l'Histoire. Je m'explique en détails.
Si vous me demandez tout ce qui fait ce panache, cette excentricité et cette créativité, une bonne proportion de ce que je vais vous citer vous mènera directement au culte vaudou haïtien. Je précise "haïtien" car celui-ci est très différent de son ancêtre, le vaudou béninois. Le vaudou haïtien est un syncrétisme, c'est-à-dire qu'il est l'héritage à la fois du vaudou béninois que je viens de citer et de la religion chrétienne importée par les Français. Un métissage, donc, qui s'ancre dans les racines même de la culture nationale, un métissage entre le monde européen et le monde africain. C'est déjà quelque chose de rarissime. Et ce même héritage, vous le retrouverez dans la langue du créole haïtien. Lorsqu'on ne connait pas, et que cette culture nous est présentée pour la première fois, ce choc fusionnel peut avoir un aspect déstabilisant, voire nous faire rire, parfois. C'est vrai que lorsqu'on découvre une religion dans laquelle certains "guédé" ("guides", esprits de la mort) portent des noms tels que Baron Samedi, Maman Brigitte ("Manman Brigitte" selon la prononciation créole) ou encore Baron Kriminel, c'est pour le moins insolite. Et pour autant, c'est tout sauf dérisoire.
Pourquoi n'est-ce pas dérisoire ? Parce que les Haïtiens ont immédiatement su cultiver le paradoxe. Ils savent mélanger le spirituel, le comique, l'enfantin, le sinistre, et jamais rien de tout cela ne sera ridicule. Au contraire, c'est le ton excessivement solennel des religions plus classiques qui parait un tantinet obsolète à côté. Et là, je vois un gène culturel qui peut permettre à Haïti d'encaisser tous les coups de ses ennemis, qui peut lui éviter l'humiliation en toute circonstance. On ne peut pas humilier Haïti car Haïti rira toujours plus fort que les gens qui souhaitent la rabaisser, et ceux qui se prendront trop au sérieux, eh bien ceux-là sont voués à être les dindons de la farce. Un gène, qui, dans un registre plus dramatique, absorbe de même la misère et le chaos, pour les transformer en énergie créative. Peut-être ce gène-là n'a-t-il pas été systématiquement exploité, mais il est là. Et les artistes sont les premiers à le faire valoir. Je pense notamment à deux d'entre eux qui m'ont mis une claque et qui, chacun à sa manière, et avec une cohérence esthétique globale, représentent à la perfection la tendance d'Haïti à repousser les limites de l'art. D'abord, Atis Rezistans, dont voici le site web pour les curieux http://www.atis-rezistans.com/, les sculpteurs de la Grand Rue de Port-au-Prince, la capitale. Inutile de vous décrire quoique ce soit, je vous laisse jeter un œil et vous comprendrez où je veux en venir. Et pour ceux d'entre vous qui ont vu le film Timbuktu, du Malien Abderrahmane Sissako, vous vous souvenez de la folle du village ? Celle qui, de façon très shakespearienne, s'élève par sa folie à un niveau supérieur à tous les gens qui l'entourent ? Eh bien il s'agit d'un personnage haïtien, d'une sorcière vaudou (qui évoque le séisme de 2010 dans son monologue), et qui est jouée avec une majesté insolite et paradoxale par Kettly Noel, que je salue au passage, et que j'attends au tournant à Paris pour assister à un de ses spectacles. Une danseuse, chorégraphe, metteuse en scène qui, de ce que j'ai pu en voir, est elle aussi attachée à la rencontre entre les cultures, et à l'image d'Haïti, tournée vers l'avenir de la culture, et aime "interroger le corps sur ses limites". La liste est longue, je pourrais vous citer une ribambelle de peintres d'art dit "naïf" à commencer par Hector Hyppolite dont j'affectionne tout particulièrement le travail, mais bon, j'ai encore des choses à dire, donc abrégeons.
J'ai parlé, beaucoup plus haut, d'une ardeur et d'une volonté de liberté qui avaient laissé des traces éternelles dans l'Histoire. Ce n'est pas à prendre à la légère. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'Haïti fût la première République du monde fondée par des noirs, c'étaient les premiers esclaves du monde africain à gagner de haute lutte leur indépendance, et tenez-vous bien : contre Napoléon Bonaparte. Oui, les Haïtiens ont niqué Napoléon. Dès le jour où ce pays à existé, il était le fer de lance d'un mouvement d'émancipation d'échelle mondiale. Il est né avec la vocation d'être en avance sur son temps. Et à voir le potentiel qu'a Haïti de trouver sa place dans la modernité, je pense, et espère de tout cœur, que l'Histoire se répètera à ce niveau, parce que cette Nation le mérite et qu'elle en est capable !
Si j'en arrive à déblatérer tout ça c'est parce que j'en ai ras-le-bol de l’hypocrisie, du paternalisme. Oui, Haïti a besoin d'aide et de solidarité. C'est un devoir humain. Soyons solidaires envers les Haïtiens comme le monde a été solidaire avec nous lorsque Daech est venu massacrer nos concitoyens. Mais ne devenons pas amnésiques jusqu'au jour où Dame Nature s'en prendra à Haïti une fois de plus. Faut-il toujours attendre la catastrophe pour se rappeler que ce pays existe ? Si on tient tellement à aider ce pays à se relever, je ne suis pas sûr qu'en faire une destination de rêve pour le "white savior complex" soit, sur le long terme, plus efficace que de promouvoir une culture qui mérite d'être promue à un point que vous n'imaginez pas. Et je pense que tout le monde en ressortira vainqueur.
Voilà mon geste sincère pour un pays dont je suis tombé amoureux à distance, et que je compte découvrir de mes propres yeux en février prochain, notamment pour le Carnaval de Jacmel. Je ne déploie pas des milliards d'euros pour leur venir en aide, certes, et cela m'attriste parce que je souhaite au plus profond de moi voir un jour ce pays briller comme il devrait. Mais si je peux, à ma petite échelle, au moins crier mon amour pour Haïti et surtout, mon estime, je suis heureux de pouvoir le faire, et j'espère que mon propos ne tombera pas dans l'oreille d'un sourd.
PS : A mes amis geeks, saviez-vous que le mythe du zombie était originaire d'Haïti ?

Un petit pas choisi par notre fantôme pour illustrer son article ! 

 On vis dans un monde ou existe des milliers de cause à défendre... éducation, environnement, industrie alimentaire, liberté (dur dur celle la).
C'est surement pour ça que ça m'a fait autant plaisir à moi, la lieutenant, de voir que non seulement cette cause-ci, un peu oubliée par tous , est remise au gout du jour, mais qu'en plus c'est fait avec ardeur et conviction !
Ce texte la, c'est le combat d'une vie !

Et toi lecteur, quel combat mène-tu ? :)

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