mercredi 31 mai 2017

Journal d'Aanore, deuxième entrée : La Tache grise

Bonjour Journal.


J'ai commencé à parler d'une scène sans même présenter le contexte, je me rends compte qu'écrire quelque chose de construit est plus dur qu'il n'y parait. Je suis Aanore, comme tu peux t'en douter puisque je signe à mon nom. Je suis née dans le quartier du Dôme il y a maintenant 16 cycles et 5 jours.

Je suis la fille d'un grand homme politique que je ne citerai pas ici. Contrairement à mon père, qui comme le reste de ma famille est quelqu'un de physiquement très banal, mon apparence ne laisse pas les gens indifférents. En premier, je suis condamnée à une maigreur extrême que je ne peux combattre, quand bien même j'aurais un appétit insatiable. Cet état entraîne une faiblesse physique extrêmement difficile à vivre. Je suis quasiment incapable de faire usage de la force de quelque façon que ce soit et la moindre chute un tant soit peu violente me laisse des entorses et des bleus considérables. Bleus qui, justement, sont mis en valeur par la pâleur de ma peau. D'aucuns racontent que je n'ai pas assez de sang dans les veines pour faire rougir ma peau, d'autres que la vie ne veut pas me voir survivre. Mêmes mes yeux sont si pâles qu'ils en paraissent gris. Quoi qu'il en soit, malgré les multiples médecins que mon père a fait venir à mon chevet, aucune de ces explications n’a jamais été confirmée.

Enfin, comme-ci cela ne suffisait pas, j'ai les cheveux gris. Je suis née sans aucun poil, et quand enfin ceux-ci ont daigné se montrer, ils étaient gris morts comme ceux d'un vieillard. Cependant, avoir des cheveux gris est mieux que ne pas en avoir du tout, et depuis leur venue, je ne supporte pas de les couper. Ils poussent très lentement, c'est pourquoi j'ai pris l'habitude d'en prendre grand soin lors de mes toilettes, et ils m'arrivent désormais plus bas que la mâchoire.

Je suis la seule de ma famille, et peut-être de la ville à avoir ces couleurs.
C'est sûrement pour ça que je me sens autant mise à part, nous ne disposons pas tous des mêmes chances. Je suis une tache d'encre blanche sur un tapis noir.

Pour ce qui est de la chance, je n'ai cependant pas à me plaindre, la vie est beaucoup plus froide en dehors du contexte familial.Étant donné mes différences, il était hors de question pour ma famille de m'afficher dans des lieux publics, c'est pourquoi j'ai eu droit à des cours particuliers par une sélection des meilleures précepteurs de la ville.

Je maîtrise les bases de plusieurs langues, connais la géographie et l'histoire de notre hémisphère sur le bout des doigts, maîtrise l'algèbre, la géométrie et la physique, y compris les domaines psycho-climatique.
En plus de cela je sais coudre, dispose d'une culture approfondie de la poésie et des plantes, ainsi que d'un sens des couleurs qui rend jaloux mon professeur d’expression plastique.

Enfin, pour mon bon plaisir, et pour éviter que je m’ennuie en raison de mon isolement, j'ai eu droit à des cours d’expression variés et sais ainsi me servir d'un piano, d'une harpe, et bien sûr d'un luth.

En fait, j'ai passé ma vie à ignorer les remarques des autres personnes sur mon apparence et à me plonger dans mon travail. Pourtant, je ne suis pas motivée par ma réussite sociale, ni même par les moyens matériels que je pourrais obtenir grâce à mes talents ; en fait l'idée de mener le même genre de vie aisée que mes parents me donne simplement des nausées.

Bien sur, ces derniers estiment que mon apparence n'est pas un prétexte, et ils n'hésitent pas à me présenter des jeunes hommes de mon âge sans me cacher que ça serait un excellent moyen d'assurer de mon avenir comme d'aider ma famille à établir des alliances politiques. Mais comme je l'ai écrit hier, je suis bien trop pessimiste pour apprécier ma condition. D'aucuns diraient que l’humanité n'est jamais satisfaite, et que je devrais être heureuse et profiter de ma vie au lieu de me plaindre, après tout d'autres n'ont pas la chance que j'ai.

En réalité, ce négativisme que j'entretiens est à mes yeux mon plus grand trésor.

Il entretient mon esprit critique.

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