mardi 1 novembre 2016

Une bière à la main #2 - Le petit trompettiste

Encore un article de notre fantôme préféré (plus assidu que certains matelots, je dois le dire)

Une bière à la main #2 - Le petit trompettiste

Holà moussaillon ! Entre, entre, Nancy viens d'recevoir un nouveau vin, une pure merveille !.. Mais bon, moi j'me contenterai d'ma bière, t'façon j'aurai pris du rhum sinon !
Enfin bref ! Installe toi, mon gars ! J'espère que tu t'souviens de c'que je t'ai raconté la dernière fois, parce que c'est la suite !
Si t'as un peu trop picolé et que tu as eu un trou de mémoire, t'en fais pas, j'ai l'habitude, alors j'vais te rafraîchir la mémoire !
Donc Charlie Parker, alias "The Bird", est considéré comme le plus important saxophoniste et un des trois piliers de l'histoire du jazz, mais on en reparlera à la fin.
Il a notamment initié le mouvement bop et a permis l'enrichissement harmonique du jazz qui sera prioritaire à la mélodie (pour faire plus français, il privilégie les accords plutôt que le thème).
Bon j'vais pas te parler du personnage plus en détail que ça, de ses problèmes plutôt commun pour un musicien (instabilité, drogue, sexe etc.) ou sur  le fait qu'il soit mort très jeune, à 34 ans (un peu moins tu me diras et il aurait pu être plus connu que ça en intégrant le club des 27, m'enfin bon).
Ce qu'il faut retenir, c'est que c'était un personnage assez égocentrique qui interagissait aussi bien avec son public que ses musiciens. Il aimait souvent faire des clins d'œil musicaux, comme lancer des petits appels dès qu'il voyait une jolie fille passer.
Mais c'est sa première séance en studio qui est la plus intéressante à raconter !

Le 26 novembre 1945, Charlie Parker est prêt à faire sa première séance studio chez Savoy Records (non ça n'a rien à voir avec du fromage) pour enregistrer 3 morceaux originaux (pas des reprises) de façon assez désorganisé et un peu à la va-vite, en compagnie du contrebassiste Curley Russell, du batteur Max Roach, de Dizzy Gillespie son ami avec qui il fut le précurseur du bop, qui normalement trompettiste, se mit au piano (peu de virtuosité mais jeu harmonique très fort), remplacé sur son instrument par un jeune musicien craintif et terrifié à l'idée de devoir jouer dans l'urgence, sous pression.
Il faut savoir que Charlie Parker, notamment lors de cette séance, était perfectionniste, et pouvait refaire une prise une dizaine de fois. Le premier morceau enregistré lors de cette séance par exemple, Billie's Bounce, un simple swing, a été refait 5 fois. Les prises étaient pourtant toutes bonnes mais Parker cherchait à toujours améliorer son propos  sans se soucier de celui des musiciens, et sans se soucier de la fatigue de ces derniers. C'est notamment le cas du petit trompettiste, qui d'une part avait des prises où il était meilleur mais que Parker ne gardait pas, et d'autre part se fatiguait rapidement.
Si bien qu'on publia ce qu'on appelle aujourd'hui les Master takes, et parallèlement les alternate takes, qui sont les prises non choisis par Parker mais qui sont pourtant toutes aussi bonnes, et où notamment le petit prodige est vu sous un meilleur jour.

Bon, la séance totale dura plus de 3 heures prévu à la base, le gamin avait disparu à la fin, de peur de devoir jouer le dernier morceau qu'il redoutait, pensant que c'était au delà de ses compétences à l'époque.
Depuis ce jour, le garçon avait appris la peur et l'angoisse, et c'est ce qui lui a permis de mûrir et de devenir l'un des plus grands trompettiste de l'histoire. Il jouera avec un nombre incroyable de jazzman connu, et sera l'initiateur du dernier grand courant du jazz, le free jazz, plus ouvert notamment vers l'instrumentalisation électronique, en compagnie entre autres de son ami Marcus Miller, avec lequel il réalisera l'album "Tutu" en 1986.
Et oui, je parle bien sûr de Miles Davis ! Parce que même si l'on a tendance à le citer parmi les plus grands jazzman, force est de constater que sans Charlie Parker, il n'y aurait jamais eu Miles Davis tel qu'on le connait aujourd'hui !
Il s'est d'ailleurs beaucoup inspiré de son mentor, aussi bien sur sa façon de jouer, son ouverture musical, mais également sur sa manière de gérer une séance studio. Il prendra l'habitude de mettre ses musiciens sous pression comme il l'a lui-même vécu pour qu'ils puissent donner le meilleur d'eux-mêmes, car avec le recul, il se rendra compte que c'est ce qui lui a permis de jouer aussi bien avec Charlie Parker.

Si je devais trouver une morale à toute cette histoire, c'est qu'il ne faut pas juger des apparences, et ne pas se contenter de gratter la surface, parce que quand on cherche plus en profondeur, on se rend compte de la complexité de la vérité et de sa beauté. Si pour beaucoup Miles Davis fait parti des plus grands musiciens jazz de tout les temps, c'est oublier que Charlie Parker a posé la première pierre de l'édifice Davis, et que c'est lui qui reste un des pilier du jazz, avec Louis Armstrong et Duke Ellington, mais ça, on y reviendra peut-être une autre fois !

Sur ce j'te laisse avec un des morceaux enregistré lors de cette fameuse séance. Pour la petite et dernière anecdote, la séance devait servir à enregistrer 3 morceaux originaux comme je te l'ai dit. Cependant lorsque le producteur se rendit compte que lors du dernier morceau, il entendait quelque chose qu'il connaissait, il a coupé les musiciens. C'était en effet une reprise d'un standard de jazz (un morceau emblématique du jazz si bien qu'on en oublie très souvent qui a été le compositeur à l'origine). Il s'agissait en réalité de Cherokee, un standard connu pour son tempo rapide (300 à la noire les amis, les métalleux ravalent leur fierté !). Après un instant de réflexion, Charlie Parker enchaîna directement en demandant aux autres de reprendre la même chose. Interloqués, les autres s'exécutèrent. Mais après avoir joué l'introduction, au lieu de partir sur le thème du morceau, ce vieux loup décide de sauter le thème et d'enchaîner directement sur son chorus (solo improvisé je rappelle). C'est d'ailleurs CE morceau l'emblème même du bop : qu'importe la mélodie ou le thème, ce qui compte, c'est la grille, la suite d'accords, sur lesquels les musiciens peuvent s'exprimer librement.
Bref, je trinque à la mémoire de Miles Davis et de tous ces autres musiciens, et j'te dis à la prochaine, pour une autre histoire !


--> Charlie Parker - Koko, 1945

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